- Jean-Sébastien Pierre
Puisqu’on doit parler du traitement médiatique de la laïcité, commençons par parler des médias publics nationaux, et de l’Etat lui-même qui devrait balayer devant sa propre porte. Les médias nationaux financés par la redevance, c’est-à-dire par l’impôt, font une place énorme aux religions et, en particulier, à la religion catholique. Des événements religieux comme les JMJ (Journées Mondiales de la Jeunesse catholique), l’élection du pape, la canonisation de Jean-Paul II et de Jean XXIII ont fait l’objet d’une couverture d’actualité totalement démesurée, occupant les journaux télévisés parfois pendant plusieurs jours d’affilée.
Notre association, tout comme d’autres associations laïques, sont occultées. Le dimanche matin, plusieurs heures sont dédiées aux religions es qualité. Ce sont des émissions de propagande et de prosélytisme. Il s’agit d’une violation de l’article 2 de la loi de 1905 : La République ne reconnait, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. Nous sommes favorables à la suppression de ces émissions. Il y a discrimination entre les associations laïques, et plus largement les associations philosophiques rationalistes, matérialistes, non confessionnelle et les cultes.
Non moins couverts par les médias publics furent les manquements graves à la laïcité commis par des membres du gouvernement, tels que le discours du Latran de Nicolas Sarkozy, et la participation du Premier ministre Manuel Valls aux cérémonies de canonisation des papes Jean-Paul II et Jean XXIII. Lorsque l’Etat lui-même ne respecte pas la laïcité, il n’est pas étonnant que les médias y dérogent.
Sur France Culture, existe depuis les années 1930 une émission intitulée ’Divers aspects de la Pensée contemporaine’ dans laquelle la Libre Pensée s’exprime une fois par mois. Interdite par le gouvernement de Vichy, elle fut rétablie dans les premières années de l’après-guerre grâce en particulier à la ténacité d’André Lorulot, son Président de l’époque. C’est peu, mais cela existe. Il n’y a rien de semblable à la télévision. Si les Pouvoirs publics nous proposaient d’animer une émission télévisuelle sur les chaînes publiques, nous étudierions la chose avec intérêt.
En ce qui concerne la presse écrite, nous constatons une ouverture notable à nos déclarations et initiatives, mais davantage dans la presse régionale que dans la nationale. Les grands quotidiens ne répercutent guère les communiqués émanant de notre association. La situation change effectivement en région, à l’exception de certains organes de presse comme Ouest-France, dont l’inspiration catholique est bien connue, mais qui, jouissant du quasi-monopole de la presse écrite dans l’Ouest, est sourd à tout ce qui vient des organisations laïques et singulièrement de la nôtre.
Cette intervention est complétée par David Gozlan, Secrétaire Général de la Libre Pensée, qui déclare : Le traitement médiatique de la laïcité est le reflet d’une recherche du sensationnel, du « coup médiatique ». Un tweet, un mot, une série « d’experts » parle de la laïcité de manière lapidaire. Comment s’emparer du débat à travers des titres et des « bons mots » ? Le temps n’est pas pris pour traiter un sujet complexe.
Il est aussi évident que certaines personnes qui parlent de la laïcité, soit ne savent pas de quoi elles parlent, soit traitent le sujet de manière superficielle. Il y a une difficulté aussi pour entendre la voix d’association comme la nôtre pour faire entendre sa voix au plan national, ce qui n’est pas le cas pour la presse locale et régionale.
Débat
Lors des discussions, a été abordé la question du voile islamique, notamment à l’Université, Jean-Sébastien Pierre reprend la parole : ’J’ai entendu avec intérêt, Jean Baubérot et nos amis de la Ligue des Droits de l’Homme déclarer que la laïcité a tendance à être dénaturée, qu’elle est source de liberté et non de contrainte sur les citoyens, ni un outil de défense contre un hypothétique ennemi intérieur, ni être prise comme le sujet d’une guerre de civilisation. Je souscris à cette analyse. J’ajoute que ce ne peut être non plus le prétexte à une révision du Code du Travail. Je m’étonne un peu que certains spécialistes ici présents trouvent la législation floue.
Dans l’affaire Baby Loup puisqu’elle a été citée, la Cour de cassation, y compris en rendant deux décisions contradictoires successives, quant au problème du licenciement, a parfaitement dit le droit tel qu’il existe dans les entreprises. Dans le domaine privé, c’est le principe de la liberté de conscience qui prévaut, sauf limitations inhérentes à la sécurité et à l’ordre public.
J’ai entendu également évoquer la supposée nécessité d’étendre la loi de 2004 à l’Université. En tant qu’universitaire moi-même, je dis attention. Pour ma part, je m’y opposerai dans la mesure de mes forces et possibilités. Ce n’est pas seulement parce que les étudiants et étudiantes sont majeurs, que l’interdiction des signes et vêtements religieux n’est pas de mise. Cela touche à un principe bien plus profond qui est celui des Franchises universitaires. L’amphithéâtre, comme la rue, font partie du domaine public. Les étudiants et auditeurs libres qui assistent aux cours, sont un public. Lorsque j’étais jeune et suivais les cours dits, alors, de propédeutique, et ce terme désuet signe mon âge, hélas, j’ai cohabité sur les bancs de l’Université avec des religieuses en habit et des militaires en uniforme, des africains en boubou et toutes sortes de vêtements à caractère plus ou moins marqué. Jamais nos professeurs n’ont fait la moindre remarque en raison des franchises universitaires. Ne détruisons pas ce qui en reste !
Pour ce qui est des interventions auprès des médias, vous pouvez nous faire confiance pour continuer à faire prévaloir la laïcité auprès d’eux.
Mais, puisque personne ne rebondit sur les obligations de l’Etat, étant d’un naturel obstiné, je me permets d’y revenir. L’Etat est le garant de la laïcité. Inutile de stigmatiser les médias (stigmatisables ce nonobstant) lorsque l’Etat ne montre pas l’exemple. Je le répète, la participation ès qualité de membres du gouvernement, d’Elus de collectivités locales, de fonctionnaires d’autorité à des cérémonies ou manifestations religieuses est intolérable. A titre privé, c’est bien sur autre chose. Nous n’aurons de cesse de les dénoncer.
Le Général de Gaule, s’il a porté un tort majeur à la laïcité à travers la loi Debré, dont nous n’aurons de cesse de réclamer l’abrogation, n’a jamais participé comme Président de la République à aucune cérémonie religieuse. Depuis, hélas, les manquements à cette règle sont légion. Voilà un élément que votre Observatoire, Monsieur Bianco, devrait observer et consigner.