Le 9 décembre 1905, était votée la loi de Séparation des Églises et de l’Etat. Publiée au Journal officiel le 11 décembre, elle était applicable dès le 1er janvier 1906. Elle sera suivie par la mise en œuvre des inventaires pour recenser ce qui appartenait à la République et qui fut payé par les contributions du peuple, le plus souvent de manière forcée, contre des remises de peine pour l’au-delà.
C’est par l’effort conjoint des républicains, des laïques, des libres penseurs, des Francs-maçons, des radicaux et des socialistes que l’adoption de cette loi de liberté put voir le jour. Une intense mobilisation dans le pays républicain dut être mise en œuvre pour aboutir. Incontestablement, la Libre Pensée fut l’aile marchante de ce mouvement.
La Libre Pensée constitua la fraction la plus résolue dans ce combat pour « rendre la République à son sentiment de dignité » selon la belle formule de Jean Jaurès. Et c’est tout naturellement que les leaders de la Libre Pensée s’illustrèrent dans le débat parlementaire, parfois sur des positions différentes, voire opposées. Mais tous les Députés et Sénateurs libres penseurs votèrent la loi.
La Libre Pensée suppose, en effet, de penser et d’être libre. Et donc d’avoir parfois des approches différentes, ce qui est le fondement de la démocratie et de l’action. Des critiques y verront sans doute une contradiction, mais c’est souvent la contradiction qui est féconde.
L’Assemblée nationale, qui était à l’époque vraiment assemblée (délibérante) et nationale (représentant la Nation), résonna des propos cultivés et éclairés de Jaurès, Briand, Allard, Buisson. Et dans une alliance féconde, Jaurès, Briand et Buisson accomplirent le Grand œuvre de la laïcité. Une loi de liberté vit ainsi le jour.
1995 : la Libre Pensée renoue avec son histoire
Après quelques décennies, où notre Libre Pensée périclitait pour des raisons internes et aussi pour des causes extérieures, par un effort de jeunes et de moins jeunes militants, qui ne voulaient pas voir la « vieille maison » disparaître (ce que voulaient les grands du « monde laïque » tout embourbés qu’ils étaient dans leur allégeance au pouvoir), il fut décidé de rebattre le pavé pour la défense de la Séparation des Eglises et de l’Etat.
Le pari était fou et un peu risqué, mais il fut tenu avec succès. En 1995, la Libre Pensée, avec bien d‘autres laïques, décida de constituer le Comité de Liaison et d’Initiative Laïque (CLIL). Militants politiques, militants syndicaux, membres d’associations philosophiques diverses, laïques et libres penseurs firent front commun pour exiger le rétablissement de la loi de 1905 et l’abrogation du statut clérical d’exception d’Alsace-Moselle.
L’anecdote retiendra que c’est dans un banquet de la Libre Pensé du vendredi-dit-saint à la Mutualité, qui en avait vu bien d‘autres, que des centaines de laïques unis dans leurs diversité, décidèrent de lancer l’appel à la manifestation du 9 décembre 1995.
Nous fûmes ainsi 10 000 environ à manifester en direction de l’Assemblée nationale. Stupeur dans le monde médiatique et bien-pensant, la manifestation fut un vrai succès. Le chroniqueur religieux du Monde devait constater dans les colonnes du quotidien qui sort à l’heure des vêpres : « 10 000 libres penseurs dans la rue, reprenant les mots d’ordre traditionnels du mouvement laïque ».
René Remond, la réaction faite plumitif clérical, écumait de rage dans les pages d’une revue jésuite. Lui qui avait proclamé, urbi et orbi, la mort de l’anticléricalisme devait reconnaître que nous étions toujours là et bien vivants. Avec le sûr instinct de la bête blessée, il analysait que cette manifestation avait autant d’importance sur le plan politique que la manifestation du 16 janvier 1994 contre la modification de la loi Falloux qui avait vu une masse considérable de manifestants descendre dans la rue.
Plus que le nombre, ce qui est en soi important, c’est la méthode de la Libre Pensée qui fut déterminante. En réunissant des militants et responsables que d’autres engagements séparaient, en étant véritablement le centre de l’union laïque, elle avait semé des graines qui ne feront que germer davantage.
Elle accomplissait, 11 ans après l’Appel aux citoyens du Congrès national de la Libre Pensée de Chauny, un pas déterminant vers la reconstruction du mouvement laïque. L’esprit devenait matière. Le mouvement était véritablement lancé.
Quand la manifestation se tint, le pays était encore partiellement paralysé par les mouvements de grève contre la loi Juppé de destruction de la Sécurité sociale. A la tête des manifestations, le libre penseur Marc Blondel qui joua un rôle considérable sur le plan social. La laïcité et le syndicalisme ouvrier étaient intrinsèquement liés. A bas la Calotte et vive la Sociale !
2005, la Libre Pensée organise le 100e anniversaire de la loi
Sur la base de ces avancées, la Libre Pensée est alors en pointe pour les 100 ans de la Séparation. Le progrès est tel, qu’il n’est nul besoin de mettre en œuvre une structure particulière comme le CLIL. La Libre Pensée, en tant que telle, existe avec force et vigueur. Elle rend public dès janvier, lors de la réunion traditionnelle de sa Commission Administrative Nationale, un Manifeste pour la défense de la loi de 1905.
Elle y décline tous les aspects nécessaires dans la logique de Ferdinand Buisson : « La Séparation des Eglises et de l’Etat n’est pas le dernier mot de la Révolution sociale, mais elle en constitue indéniablement le premier ». Les Fédérations départementales préparent activement la montée à Paris.
Régulièrement, la Raison publie des appels nominatifs de militants syndicaux, politiques, enseignants, artistes, universitaires, associatifs, personnalités qui appellent à la manifestation du 10 décembre 2005. La chair se reconstitue autour des os. La Libre Pensée associe, agrège autour d’elle militants et associations.
Le 10 décembre 2005, plus de 12 000 personnes manifestent avec la Libre Pensée. En tête, le Grand Orient de France, que la Libre Pensée, par courtoisie, a accepté de voir défiler pour ouvrir le passage à son cortège de loin, très loin, le plus nombreux. Devant les drapeaux rouges, noirs et rouge et noir, une centaine de signataires des appels initiés par la Libre Pensée forment un carré significatif de personnalités.
Marc Blondel, membre de la CAN de la Libre Pensée conduira le cortège et battra le pavé parisien comme en 1995 avec Claude Jenet, lui aussi libre penseur. Et ils en serreront des mains, pas toutes aussi célèbres que celle de 1995, mais quand même. Encore et toujours : « A bas la Calotte et vive la Sociale ! »
Derrière, se pressent aussi les éternels ralliés de la dernière heure. Toutes les tentatives d’opposition et de diversion seront balayées comme un fétu de paille. Pour certains, la haine électronique fera office de cortège et de défouloir de leur dépit désappointé.
Un meeting se tiendra à la fin, où le Grand Orient de France, la Libre Pensée, l’IHEU (Association internationale à laquelle adhère à ce moment-là la FNLP) prendront la parole. Cela restera un momenthistorique où des milliers de poumons crieront d’une seule voix, souvent pour la première fois : « A bas la Calotte ! ». Bien creusé, vieille Taupe !
A la demande de la Libre Pensée, dès le retour dans leurs terres, les libres penseurs vont établir minutieusement la carte des subventions publiques pour les cultes. Les budgets de l’Etat et des collectivités territoriales seront passés au peigne fin de l’analyse laïque. Le résultat sera rendu public dans les inventaires laïques en décembre 2006, lors d’une séance présidée par Joachim Salamero où il indiquera queplus de 10 milliards d’euros de fonds publics sont détournés chaque année au profit de l’Eglise catholique et de ses œuvres.
Dans la grande salle Ambroise Croizat de la Bourse du Travail, unissant à nouveau le mouvement laïque et le mouvement ouvrier, seront détaillés et égrenés le détail des détournements. Ce chiffre de 10 milliards ne sera jamais contesté et, même, deviendra la référence en la matière.
2015, plus haut, plus vite, plus fort
En janvier 2015 à nouveau, la CAN de la Libre Pensée décide de lancer un appel pour la tenue d’une manifestation nationale le 5 décembre à Paris pour le 110eanniversaire de la loi de Séparation. La période a changé. On ne parle plus que de la laïcité, après l’avoir tant ignorée. Même si les Libres penseurs ne sont pas dupes, il y a là en quelque sorte un hommage du vice à la vertu.
La Libre Pensée a toujours pensé que l’art de la politique, c’est de rendre possible ce qui est nécessaire. A l’inverse, beaucoup pense exactement le contraire, et encore : les jours de fête ! Pour eux, tout dépend du bon vouloir du prince qui nous gouverne. Certains prennent les Bastille, d’autres montent la garde pour les protéger. Et que dire des relents de xénophobie antiarabe qui ponctuent et qui polluent bien des discours pseudo-laïques.
La Libre Pensée considère que le principe de Séparation des Eglises et de l’Etat repose sur deux principes :
- La Séparation de la sphère publique et la sphère privée.
- Le non-financement des cultes, directement ou indirectement.
C’est pourquoi l’appel de la Libre Pensée met au centre de la manifestation la question de l’abrogation de la loi Debré, qui est la mère de toutes les lois antilaïques. C’est par la loi Debré que l’Église catholique et ses œuvres sont massivement financées sur les fonds publics. C’est le cœur atomique du combat laïque.
Comme par un curieux hasard, tous ceux qui ne voient la laïcité que par le prisme antimusulman, se refusent à mener toute action pour l’abrogation de la loi Debré. Dis-moi qui tu critiques, je te dirai quels intérêts tu défends.
La laïcité est au cœur des questions de société. C’est une défaite de l’Église catholique et de toutes les religions. L’opiniâtre travail de la Libre Pensée a permis que les associations historiques de la laïcité se rencontrent, se retrouvent et agissent de concert. Sans que personne ne renie quoique ce soit, une analyse commune s’est fait jour sur la question de la Séparation public/privé et pour la défense des libertés démocratiques.
Le mouvement laïque se reconstruit sur un nouvel axe. Une excellente entente, basée sur une compréhension commune des problèmes, existe entre la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des Droits de l’Homme, l’Union rationaliste et la Libre Pensée.
Chacun a fait un bout du chemin et a compris que la laïcité, ce n’est pas l’interdit, c’est au contraire la possibilité de dire oui à sa conscience. Comme en 1905, la liberté de conscience a de nouveau rendez-vous avec son histoire. La Libre Pensée a toute sa place dans cette action et cela se verra le 5 décembre 2015.