Dimanche 9 octobre 2016
Bonjour Lilâ. Peux-tu te présenter et présenter l’UNEF ?
L.LB. : Je suis la nouvelle présidente de l’UNEF. L’UNEF c’est quoi ? C’est l’Union Nationale des Etudiants de France, syndicat étudiant, première organisation étudiante de France. Notre rôle est d’être présent au quotidien sur les campus universitaires pour informer les étudiants, les défendre et aussi organiser la solidarité. Cela se fait au niveau local par les sections locales, et au niveau national pour essayer d’améliorer concrètement les conditions de vie et d’étude des étudiants.
D.G. : Vous êtes implantés dans toutes les universités.
L.LB : Tout à fait.
D.G. : Quelles sont vos relations avec les autres organisations de jeunesse comme l’UNL, la FIDL ?
L.LB : On travaille très bien avec les autres organisations de jeunesse. On l’a d’ailleurs très bien vu ces derniers mois avec la mobilisation contre la loi Travail où 28 organisations de jeunesse se sont réunies dès le mois de mars pour pouvoir mener des batailles en commun et elles continuent à se réunir. Dedans il y a les syndicats lycéens, les organisations d’éducation populaire comme le MRJC, la JOC par exemple, il y a aussi des mouvements politiques de jeunesse qui se réunissent tous ensemble pour porter la voix des jeunes, porter nos aspirations, mener des combats communs. C’est ce que l’on a fait au printemps dernier, c’est ce que l’on continue à faire en cette rentrée sur plein d’autres aspects et c’est ce que l’on continuera à faire dans les mois à venir.
D.G. : C’est vrai qu’il y a de nombreuses organisations. On a souvent vu en tête de manifestation l’UNL, la FIDL et l’UNEF, à côté d’autres organisations confédérées que l’on a déjà reçues dans cette émission. Vous, en tant qu’UNEF, comment analysez-vous la loi El Khomri dite loi Travail, et pourquoi votre syndicat a-t ’il toujours été présent dans ces manifestations et dans la mobilisation ?
L.LB : Cette loi Travail était une attaque sans précédent envers les jeunes pendant ce quinquennat notamment. Les jeunes sont précaires pendant leurs études, ils sont précaires pendant leur insertion professionnelle. On le sait bien aujourd’hui, quand un jeune est diplômé c’est un sas de précarité qui l’attend. Il enchaine les petits boulots, le chômage, les contrats précaires, maintenant les services civiques, en tout cas c’est ce que l’on veut nous promettre. Cette loi Travail nous promettait d’être précaires tout au long de notre vie. Dès que l’on aura passé la barrière du diplôme, que l’on aura trouvé un travail que l’on espère stable, et bien là on aura des protections et des sécurités en moins dans notre entreprise.
Les jeunes refusent cette précarité qu’on leur propose à vie. Ce ne sont pas leurs aspirations. Ils veulent être respectés. C’est pour cela que l’UNEF a pris toute sa part à côté des organisations professionnelles et lycéennes, au côté de l’intersyndicale pour pouvoir dénoncer ce projet de loi qui n’allait pas dans le bon sens.
Quand on voit la situation des jeunes ce qu’il faut c’est surcotiser les contrats courts pour leur permettre d’avoir accès aux CDI, c’est leur permettre d’avoir accès aux minima sociaux puisque je le rappelle le RSA n’est pas ouvert au moins de 25 ans. Cela veut dire que les jeunes qui sortent de l’enseignement supérieur avant 25 ans n’ont accès à aucune aide sociale pour pouvoir chercher du travail. Vous imaginez la complexité de la situation pour un jeune de 23 ans qui a un master II et qui se retrouve sans aucune aide sociale pour pouvoir espérer trouver un travail. Il est obligé de prendre des jobs alimentaires qui ne correspondent pas à ses qualifications et encore une fois s’enfermer dans un sas de précarité.
Ce que l’on a voulu exprimer, c’est qu’il fallait mettre fin à ce bizutage social que l’on impose aux jeunes aujourd’hui, car la société a tendance à nous dire « c’est normal vous êtes jeunes il faut passer par la galère pour un jour y arriver ». Nous pensons que ce n’est pas comme ça que cela doit se passer mais que l’on doit se donner comme ambition de former l’ensemble d’une génération mais aussi leur donner de bonnes conditions d’études et de bonnes conditions de travail, puisque c’est quand même ça l’avenir du pays et non pas que l’on soit tous précaires.
D.G. : On voit bien que c’est le combat contre une certaine précarité qui est engagé. Est-ce que l’on peut dire que les étudiants subissent cette précarité de plein fouet ? Est-ce que cette précarité les empêche de poursuivre leurs études de manière claire et dans quelles mesures ?
L.LB : Un étudiant sur deux, aujourd’hui, est salarié pendant ses études.
Lorsqu’au début de la mobilisation on disait qu’il était absurde que les jeunes se mobilisent contre ce projet de loi, il faut rappeler qu’ils sont directement touchés par la précarité à la fois pendant leurs études et aussi lorsqu’ils sont en entreprise pour financer justement leurs études.
La précarité ils la connaissent de deux façons : quand ils sont en entreprise mais aussi quand ils sont étudiants. Quand on voit le système de protection sociale que l’on offre à des étudiants c’est rien du tout. Le système de bourse concerne seulement 28% des étudiants ce qui veut dire que les autres doivent soit se salarier soit faire appel à l’aide de leur famille et on sait bien que cela est de plus en plus compliqué avec la crise financière. Du coup les jeunes sont confrontés au mur de la précarité quand ils font des études et c’est cela la véritable problématique.
Ce que l’on a voulu mettre en avant c’est qu’aujourd’hui on ne permet pas aux jeunes d’étudier dans de bonnes conditions et en plus on leur promet de devoir faire des compromis tout au long de leur vie. C’est toute l’aspiration à avoir un emploi stable, qualifié à hauteur de notre projet professionnel, qui est tombée en ruine avec ce projet de loi.
C’est pour cela que les jeunes se sont mobilisés massivement tous le printemps dernier pour revendiquer le retrait et à la rentrée l’abrogation, mais aussi des mesures concrètes pour avancer.
Les jeunes ont réussi à arracher un investissement de 500 millions d’euros pour pouvoir améliorer concrètement leur quotidien. C’est l’augmentation des bourses, la création de places en BTS mais aussi une aide à la recherche du premier emploi qui a été créé pour essayer de palier un petit peu la précarité qui existe chez les jeunes aujourd’hui.
D.G. : Comme tu l’as dit, au printemps c’était pour le retrait, maintenant c’est pour l’abrogation. Quel devenir pour cette mobilisation ? Comment l’UNEF voit la poursuite de cette mobilisation et sous quelle forme ?
L.LB : Je pense que la question « sous quelle forme ? » est la véritable question.
On l’a vu au printemps dernier, cette mobilisation n’a pas seulement été dans la rue, même si beaucoup de gens y sont descendus pendant 4 mois, mais elle a aussi commencé avec des nouveaux outils de mobilisation. Les jeunes notamment se sont emparés des réseaux sociaux. Il y a une pétition en ligne qui a recueilli plus d’un million de signatures très rapidement et qui a été très virale sur les réseaux sociaux et qui a déclenché une contestation majoritaire dans la société.
Il y a eu les occupations de places publiques.
Des youtubers et youtubeuses se sont fait entendre pour refuser ce projet de loi et ce que l’on nous promettait avec cette loi.
Tout cela est important à prendre en compte et de ne jamais mettre en opposition les différentes formes de mobilisation que l’on a vu apparaître avec cette contestation contre la loi Travail.
Il y a eu le 15 septembre qui a permis de reposer au cœur du débat les questions sociales et maintenant on doit pouvoir apporter des contre-propositions. Qu’est-ce que nous nous verrions dans une loi Travail ? Qu’aurions-nous besoin en tant que jeunes pour ne pas être précaires à vie mais avoir une sécurité quand on s’insère professionnellement ?
Je pense qu’il faut continuer dans ce sens-là en faisant des propositions avec ce que nous revendiquons, nos aspirations en tant que jeunes. Cela on doit le faire non seulement avec l’ensemble des organisations de jeunesse mais aussi avec l’intersyndicale pour pouvoir se positionner et continuer à mener des batailles de différentes manières.
On a fait des meetings à la rentrée. On pourra faire des tribunes par la suite, on pourra utiliser d’autres outils mais en tous cas ne jamais mettre ça en opposition mais le faire converger pour que l’on se fasse entendre.
C’est un élément véritablement intéressant pour faire entendre notre voix, notre contestation contre ce qui est maintenant une loi.
D.G. : Quelle est la situation pour cette rentrée universitaire ?
L.LB : La rentrée universitaire est encore une fois sous tension pour les étudiants puisque 10 jours après la rentrée on a toujours des amphis surchargés, des TD surchargés, des manques de profs pour pouvoir encadrer les étudiants alors que l’on a un afflux de bacheliers à l’université. 32 000 bacheliers en plus cette année rien qu’à l’université alors que les facs sont confrontées à une pénurie budgétaire depuis des années.
On se rend bien compte que cela rend difficile les conditions d’étude et donc la réussite des étudiants à l’université.
Nous nous battons pour que les universités aient les moyens nécessaires pour assurer un véritable encadrement.
Il y a aussi une autre difficulté qui est la précarité sociale des étudiants. On en a parlé tout à l’heure mais quand on voit que le cout de la vie pour les étudiants augmente de 1,23% cette année on se rend bien compte que le système de bourse ne correspond pas à nos attentes, ne prend pas en compte l’autonomie des jeunes, qui prend toujours en compte quand on a 23 ans le revenu de nos parents pour savoir si on a le droit à une aide sociale ou non, c’est complétement incohérent avec les besoins de notre génération et avec la nécessité de former toute une génération.
Les étudiants sont confrontés à une précarité dans l’université par manque d’encadrement, d’aide pour réussir et manque de pédagogie, et aussi à des barrières sociales puisque l’on voit que les aides sont largement insuffisantes, que les étudiants sont obligés de s’endetter ou de se salarier, ou les deux à la fois, pour espérer décrocher un diplôme qui parfois ne leur garanti pas d’avoir un emploi à la hauteur de leur qualification.
Je pense qu’il faut repenser tout ça. Repenser le système de protection sociale. Qu’est-ce que l’on veut faire de l’enseignement supérieur, qu’est-ce que l’on veut faire du service public à l’université ?
On arrive aujourd’hui à une contradiction : on va être une génération mieux formée que nos parents et l’on risque de vivre moins bien qu’eux. C’est la première fois que ça arrive.
Il faut aller de l’avant pour garantir à cette génération non pas d’être précaire mais de pouvoir s’élever socialement, d’avoir un diplôme qui est protecteur sur le marché du travail.
D.G. : Il y a un autre débat qui risque de faire bouger un peu l’université, c’est la question de la laïcité. D’une manière générale, que pensez-vous de ces problèmes liés à la laïcité et qui ont d’ailleurs défrayés la chronique cet été ?
L.LB. : Il est vrai que la question de la laïcité, et notamment au sein de l’université, est une question qui revient, qui est récurrente et pour nous fondamentale.
Je pense que le débat de cet été sur le burkini est instrumentalisé. La question de savoir si la tenue d’une femme est plus ou moins longue, plus ou moins justifiée, je pense que ces attaques-là sont profondément orientées contre notamment une religion et une pratique religieuse. Ceci est une véritable problématique quand on nous propose aujourd’hui un certain programme pour les élections présidentielles avec l’idée d’interdire le port des signes religieux à l’université. Je pense que ceci est une vraie erreur.
Pour moi, les principes de laïcité il y en a plusieurs. Bien sûr c’est la neutralité de l’Etat : il doit être laïque, ne pas interférer dans les décisions des religions et les religions ne doivent pas interférer dans les décisions de l’Etat.
C’est aussi la liberté de conscience : les individus, dans la société, sont libres d’être croyants ou non, de pratiquer une religion ou non.
Enfin il y a aussi le rôle des politiques publiques pour arriver à créer du commun dans la société et dans la population.
Par contre je pense que la question du port des signes religieux, notamment à l’université, n’entrave aucun de ces principes de laïcité.
Si on dit que le port de signes religieux empêche les étudiants d’être libre de penser et de faire leurs études, je pense que c’est un argument de mauvaise foi surtout quand on voit les pratiques des politiciens qui portent ces propositions et qui ne se privent pas d’avoir des liens avec certaines religions en tant qu’élus. Quand on veut interdire le port des signes religieux on porte une véritable atteinte à ce qu’est l’université aujourd’hui : temple du savoir, de l’échange entre les jeunes, entre les étudiants. C’est cela qui permet de pouvoir étudier ensemble, d’être ensemble dans un amphi et partager ce qu’est l’université.
C’est comme le débat autour du voile pour savoir s’il est assez long ou pas, si c’est un argument féministe ou pas.
Je pense que tous ces arguments-là ne sont pas bons et que bien souvent on ne pose jamais la question aux femmes concernées pour savoir si elles sont opprimées ou non.
Tous ces débats là je pense qu’il faut les exclure.
A l’UNEF nous sommes contre l’interdiction des signes religieux à l’université. On va dire à des jeunes filles qu’elles n’auront plus le droit d’accéder à l’enseignement supérieur, qu’elles n’auront plus le droit de suivre des cours pour avoir un diplôme et c’est donc encore une fois mettre des gens sur le côté de la route et les empêcher d’avoir accès à l’enseignement supérieur.
D.G. : En tant qu’UNEF, vous seriez d’accord pour toucher ou ne pas toucher à la loi de 1905, qui garantit cette séparation des Eglises et de l’Etat ? Et que pensez-vous du mot d’ordre laïque « Fonds publics à l’école publique, fonds privés à l’école privée ? »
L.LB : Je pense que la loi de 1905 est quelque chose qu’il faut d’abord réussir à correctement interpréter et en rappeler les principes. Malheureusement aujourd’hui quand on parle de laïcité on interprète mal ce qui a été fait dans cette loi, séparer les Eglises et l’Etat. Je pense que le travail à faire est de rappeler à chacun ce que garantit cette loi, ce qu’elle permet, ce qu’elle ne permet pas. Je pense que beaucoup d’hommes et de femmes politiques devraient la relire pour pouvoir l’appliquer correctement.
Concernant l’enseignement supérieur, quand on nous parle d’interdiction de port d’insignes religieux je pense que l’on devrait d’abord se questionner sur le financement, le Concordat etc. et toutes ces écoles qui délivrent des diplômes religieux. On n’en parle jamais.
Il faudrait remettre tous cela à plat et ne pas imposer la laïcité dans un sens unique mais de façon à ce qu’elle garantisse les droits à tous les citoyens d’être libres, de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent dans les cadres qu’ils souhaitent.
D.G. : Lilâ Le Bas merci. Bon dimanche à tous.