Par un arrêt du 22 novembre 2017 (Cass. Soc., 22 novembre 2017, pourvoi n° 13-19 855), après l’avoir saisie d’une question préjudicielle, la Cour de cassation a tiré les conséquences de deux décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à propos des discriminations directes et indirectes dont sont victimes les salariés d’entreprises privées à raison de leurs convictions religieuses.
En l’espèce, la juridiction suprême de l’ordre judiciaire avait à statuer sur la question de savoir si un employeur était fondé à licencier pour cause réelle et sérieuse une femme recrutée en qualité d’ingénieur d’études, au motif qu’elle avait refusé d’obéir à une injonction orale de retirer son foulard en présence de la clientèle. Conformément à l’arrêt par lequel la CJUE a répondu à la question préjudicielle posée (CJUE, 14 mars 2017, AB, aff. C-188/15), la Cour de cassation a conclu que cet ordre constituait « […] une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses […] », dès lors que « […] la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une salariée portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive du 27 novembre 2000 […] ».
Dans la note explicative qu’elle a publiée à la suite de son arrêt, la Cour de cassation précise que l’interdiction inscrite dans le Règlement intérieur ou découlant d’une note adressée aux salariés – et non d’une simple injonction orale – de porter tout signe religieux dans une entreprise « […] est susceptible de constituer une discrimination indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 [du 27 novembre 2000], s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données […] ». Elle ouvre ainsi la voie à l’application en droit français de l’arrêt rendue par la CJUE à la suite d’une question préjudicielle posée à la juridiction européenne par la Cour de cassation de Belgique (CJUE, 14 mars 2017, G4S Secure solutions, aff. C-157/15).
Par conséquent, en se plaçant sur le terrain juridique du droit européen, la Cour de cassation conforte le raisonnement qu’elle avait tenu, en application du droit français, dans son arrêt du 19 mars 2013 relatif au licenciement de la directrice adjointe de la crèche Baby-Loup (Cass. Civ., 19 mars 2013, pourvoi n° 11-28 845). Elle écrivait alors que la clause du Règlement intérieur de la crèche Baby-Loup imposant, au nom du « principe de laïcité », la « neutralité » aux salariés de l’association gestionnaire constituait « une restriction générale et imprécise, ne [répondant] pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du Code du travail […] », si bien « […] que le licenciement, prononcé pour un motif discriminatoire, était nul […] ». Si, in fine, la Cour a validé le licenciement de la directrice adjointe de la crèche Baby-Loup, c’est au vu des circonstances concrètes de l’affaire et notamment des « insubordinations répétées et caractérisées décrites dans la lettre de licenciement » de l’intéressée (Cass. plén., 25 juin 2014, pourvoi n° 13-28 369).
Dans ces conditions, l’introduction par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels de l’article L. 1321-2-1 dans le Code du travail, aux termes duquel « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés, si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. », ne devrait pas conduire à rendre licites les clauses d’interdiction générale et absolue des convictions, de quelque nature qu’elles soient, que d’aucuns rêvent d’imposer aux travailleurs dans les entreprises. En effet, l’histoire est pleine d’ironie : le juge judiciaire, garant constitutionnel des libertés individuelles, s’appuie désormais sur le droit européen, pourtant peu favorable aux salariés, pour assurer leur liberté de conscience. Les « islamo-gauchistes », que les pseudo-laïques de la vingt-cinquième heure voient à chaque coin de rue, sont décidément partout !
La Libre Pensée :
Exige l’abrogation de la loi El Khomri !
Le respect de la liberté de conscience du salarié !
Dans l’entreprise, le travailleur doit rester un citoyen!
Paris, le 8 décembre 2017