3 janvier 2019
Émission animée par David Gozlan, Secrétaire Général de la Fédération Nationale de la Libre Pensée.
David Gozlan : Cette année 2019 est particulière. Il y a beaucoup de choses qui sont dites sur la laïcité et sur la loi de 1905 et nous souhaitions recevoir l’Observatoire de la laïcité.
Avant de donner la parole à Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène je vous rappelle que nous avons des banquets dits « tête de veau » qui auront lieu autour du 21 janvier et que vous êtes cordialement invités à y participer.
Jean-Louis Bianco, pouvez-vous présenter l’Observatoire et ses missions ?
Jean-Louis Bianco : L’Observatoire de la laïcité est une institution de la République puisqu’il a été créé par décret, et puis l’Assemblée Nationale et le Sénat ont décidé à l’unanimité de le recréer par la loi.
C’est un organisme indépendant. Pluri partisans. Il y a des parlementaires – députés, sénateurs – majorité, opposition – des représentants des ministères, des personnalités qualifiées.
La première mission est d’établir un état des lieux. De dire, à travers tout ce qui nous remonte du terrain, ce que nous disent les acteurs de terrain, ce que nous voyons nous (deux à trois déplacements par semaine), quel est l’état des lieux de la laïcité en France. Cela fait l’objet d’un rapport annuel qui est remis au Premier Ministre et au Président de la République et qui est librement consultable et téléchargeable sur notre site. J’invite les auditeurs à aller voir. Il y a beaucoup de documentation et nous publions un maximum d’informations.
Donc première mission : observer, dire l’état des lieux avec rigueur et sérieux.
Deuxième mission : conseiller. Conseiller d’abord le gouvernement. Nous ne sommes pas un service du gouvernement mais nous le conseillons. Nous conseillons le Parlement et nous pouvons conseiller, cela nous arrive fréquemment, des collectivités locales, des associations et même de simples citoyens. J’insiste là-dessus. N’importe qui peut nous téléphoner ou nous envoyer un mail pour poser une question relative à la laïcité et nous répondons dans les 48 heures. C’est un travail de type service public de la laïcité.
La troisième mission, c’est former. Il y a un énorme besoin. On dit souvent n’importe quoi sur la laïcité, par ignorance ou par mauvaise foi. Il y a un énorme besoin que les élus, les associations, les travailleurs sociaux, les entreprises, les syndicats, les responsables politiques, se forment à la laïcité pour mieux la connaître.
Nous faisons un gros travail avec des guides, là encore librement consultables et téléchargeables, pour les collectivités locales, les associations, les entreprises et les hôpitaux publics par exemple.
DG : La laïcité, on en parle. Pour vous, Nicolas Cadène, quelle serait la définition de la laïcité ?
Nicolas Cadène : Déjà rappeler que la laïcité n’est pas une nouvelle religion. Ce n’est pas un nouveau dogme. La laïcité n’est pas une opinion mais plutôt le principe qui va permettre l’expression de toutes les opinions dans le respect de l’ordre public. Et pour faire très simple, on pourrait résumer la laïcité par la devise républicaine. C’est-à-dire que c’est vraiment ce principe qui vis-à-vis des convictions permet la parfaite déclinaison des valeurs républicaines. Ce n’est pas une valeur en soi mais c’est un principe qui va permettre la déclinaison des valeurs, Liberté, Egalité, Fraternité, puisque c’est la liberté de conscience, c’est ensuite l’égalité de tous devant la loi, devant l’administration quelle que soit la croyance ou la non croyance, égalité qui est permise par la neutralité de l’Etat, de l’administration publique souvent confondue avec une neutralité des usagers.
Cet ensemble va permettre la fraternité, en tout cas va concourir à cette citoyenneté commune et donc à l’idéal républicain de fraternité.
DG : Qu’en est-il du respect de la laïcité dans notre pays ?
Jean-Louis Bianco : Il y a des motifs d’espérance et des motifs d’inquiétude.
Du côté positif il y a le fait que depuis quelques années ont a cessé de parler de la laïcité de manière rituelle. Vive la laïcité, vive la République et on passe à autre chose.
On en parle maintenant concrètement : quels sont les problèmes que l’on rencontre et qu’est-ce que c’est que la laïcité. Qu’est-ce qu’elle permet, qu’est-ce qu’elle interdit, comment on doit la faire vivre pour, comme le disait Nicolas Cadène, incarner les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
Ce que nous constatons c’est que contrairement à une impression reçue, il n’y a pas forcément plus d’atteintes directes à la laïcité, simplement on parle de sujets – gestion des faits religieux, laïcité – dont on ne parlait pas. Et c’est bien qu’on ne laisse pas la poussière sous le tapis, comme on dit.
Ce qui est sûr aussi, et ça c’est très inquiétant, une aggravation des tensions, à la fois sur la gestion des faits religieux et sur la laïcité. C’est un sujet de préoccupations, de conflits, parfois durs, dans toutes sortes de collectivités, qui reflète un peu d’ailleurs une sorte d’état de violence que l’on a dans notre pays et qui répond au fait que quand on parle de laïcité on parle aussi d’autre chose. Certains l’avouent franchement, d’autres pas. On parle d’islam, on parle du voile, on parle de discrimination, on parle de la ségrégation, on parle de l’identité. Ces questions passionnelles, il faut les aborder avec rigueur et méthode, c’est ça aussi la démocratie.
DG : C’est la raison qui va primer pour expliquer les choses !
Jean-Louis Bianco : Exactement ! La laïcité est une démarche d’émancipation. C’est une démarche qui fait appel à la raison pour que chacun se dégage de ses préjugés et de ses émotions.
DG : D’après les travaux de l’Observatoire, il n’y a non pas une remise en cause mais des problématiques qui sont posées à la laïcité. Que propose l’Observatoire pour y remédier ?
Nicolas Cadène : Tout d’abord un énorme travail de pédagogie et de formation parce qu’en effet il y a beaucoup d’incompréhension sur la laïcité. Même si, à l’inverse de ce que l’on peut croire, nous ne sommes pas à feu et à sang, qu’il n’y a pas des centaines d’atteintes à la laïcité chaque jour, il n’empêche que la moindre atteinte peut conduire à de très fortes polémiques, à de très vives tensions. Il faut donc la prévenir et pour cela il faut connaitre les règles d’application de la laïcité, concrètement sur le terrain au quotidien. Beaucoup ne savent pas quelle est la règle, comment s’applique cette laïcité et donc nous sommes là pour former les acteurs de terrain à cette laïcité. Pour cela nous avons édité des guides pratiques, accessibles à tous, gratuits, qui ont été envoyés aux collectivités locales, aux hôpitaux, aux structures socioéducatives etc. Nous allons en faire un prochainement pour le secteur sportif.
En quelques pages seulement on arrive à avoir les idées au clair sur ce qu’il est possible de faire ou pas.
Nous avons aussi lancé une multitude de formations des acteurs de terrains. Des formations gratuites ouvertes aux fonctionnaires, aux acteurs associatifs etc. qui marchent très bien avec un taux de satisfaction à 98% ! Nous avons déjà formé 30 000 acteurs de terrain.
Sans parler de toutes les autres formations que nous faisons lors de nos déplacements chaque semaine.
Nous avons aussi lancé des cours en ligne sur internet (MOOC) qui sont là encore gratuits et qui vont permettre au grand public de s’informer très précisément sur la laïcité.
Donc nous avons lancé toute une multitude d’outils très variés, y compris des vidéos pédagogiques de quelques secondes ou minutes, pour aider tous les publics.
DG : C’est vraiment la réponse par des cas pratiques que l’Observatoire essaie d’apporter. C’est bien ça ?
Nicolas Cadène : Oui. Ensuite il y a aussi tout ce que nous avons lancé dans l’Education Nationale. Deux membres de l’Observatoire ont vraiment porté l’enseignement moral et civique qui va permettre aux élèves de se saisir du principe de laïcité et des valeurs républicaines de façons concrètes par des jeux de rôles, des débats contradictoires entre élèves, mais dans le respect.
Et puis il y a bien sûr le travail très important des mouvements d’éducation populaire, que nous soutenons largement, auprès des jeunes et puis le travail d’associations telles que la Libre Pensée qui rappelle très précisément les règles et qui parfois est amenée à saisir les tribunaux pour poursuivre des acteurs qui ne seraient pas en conformité avec la laïcité et la loi de 1905 en général.
DG. : Il est vrai que pour les tribunaux nous sommes aux avant-postes. Ça c’est un travail méconnu de la part du grand public et peut être des auditeurs et auditrices de France Culture, car l’Observatoire apparaît souvent dans la presse, et nous trouvons cela dommageable, sous le coup de la polémique. Récemment, il s’agit une polémique sur le Service National Universel et sur la position de l’Observatoire. Est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots ?
Nicolas Cadène : C’est très dur, mais comme cela a été dit tout à l’heure, sur cette question de laïcité c’est passionnel et beaucoup ont tendance à vouloir imposer leurs croyances, je dis ce mot exprès, sur la laïcité. Oui, il y a plusieurs interprétations intellectuelles de la laïcité, en démocratie c’est normal mais il n’y a qu’une application en droit. Il n’y a qu’une laïcité qui est définie par notre droit, qui est reprise par notre constitution, et l’Observatoire de la Laïcité n’a pas d’opinion sur la laïcité. Il applique la laïcité telle qu’elle est définie par le droit et il rappelle cette laïcité même si ça en dérange certains qui en réalité veulent une nouvelle laïcité.
Concernant le SNU (Service National Universel), on nous a demandé de faire une note technique, juridique sur les aspects-laïcité dans ce futur service national. Nous avons fait cette note par laquelle nous avons rappelé l’état du droit actuel, le cadre légal dans lequel pourrait s’inscrire ce SNU et dans ce cadre légal quelles sont les possibilités de restreindre ou non les manifestations du fait religieux par les jeunes.
Cette étude n’a fait que rappeler ce cadre légal et pourtant cela a relancé des polémiques car certains y ont vu des recommandations, que nous n’avons pas faites, qui ne leur allaient pas. En réalité ce qui ne leur allait pas c’était le droit positif, la laïcité telle qu’elle est traduite dans nos textes. Donc il faudrait qu’ils l’assument très clairement et qu’ils disent qu’ils sont en fait en désaccord avec la laïcité car nous, nous n’avons fait que rappeler l’état du droit actuel.
DG : Comme ces polémiques sont apparues dans la presse, je vais revenir sur un des aspects que l’Observatoire met en place. En début de semaine l’Observatoire a organisé une réunion avec de jeunes journalistes d’un centre de formation des journalistes. Je pense qu’il s’agit de quelque chose d’extrêmement concret. Quelle plus-value vous apporte une telle démarche. Pourquoi aller vers ces journalistes ? Pour qu’ils arrêtent d’écrire tout et n’importe quoi ou d’utiliser la polémique ? Parce qu’il est vrai que comme la laïcité, c’est passionnel il suffit d’écrire le mot laïcité avec un adjectif à côté et on est déjà dans quelque chose qui deviendrait polémique.
Nicolas Cadène :Il y a des journalistes qui font un excellent travail
DG : Il faut le dire !
Nicolas Cadène : et d’autres en effet qui veulent polémiquer mais qui sont souvent alimentés par des discours politiques, qui parfois ne sont pas très corrects d’un point de vue du droit de la laïcité. Nous, effectivement, nous cherchons à expliquer combien il est important, surtout dans une période de fortes tensions, de prendre le recul nécessaire à l’analyse pour tout sujet qui touche à la laïcité, pour éviter de tomber dans des clichés, dans des fausses interprétations et surtout pour éviter de jouer sur les peurs, de mettre de l’huile sur le feu comme cela est très souvent fait.
Nous l’avons fait l’an dernier avec des journalistes en poste, depuis longtemps dans leurs services, formés par le passé, et cette année nous l’avons fait auprès de futurs journalistes et avec des médias plus modernes, moins traditionnels qui touchent davantage de jeunes. Je pense que c’est une bonne méthode. Les jeunes se sont montrés passionnés par cette journée, ils étaient très nombreux, ont posé énormément de questions. Je crois qu’ils en sont sortis tous mieux informés sur la laïcité et désormais lorsqu’ils traiteront de ce sujet, ils feront sans doute plus attention, et prendront le temps nécessaire à l’analyse.
DG : Des journalistes mieux informés. Que demande le peuple ?
D’après de récents articles de presse, il semble qu’Emmanuel Macron et son gouvernement envisagentde modifier la loi de 1905. Que pouvez-vous nous en dire Jean-Louis Bianco ?
Jean-Louis Bianco : Notre conviction à l’Observatoire, mais qui est partagée par beaucoup de compatriotes, c’est que la loi de 1905 constitue, si j’ose dire, une sorte de miracle laïque et républicain. C’est le produit de combats, de luttes qui sont toujours à recommencer. C’est le produit de notre histoire, ce qui fait notre propre singularité et je bondis quand j’entends des gens me dire « c’est vieux, le monde a changé ». Oui le monde a changé mais si l’argument du vieux était recevable, on pourrait dire que la Déclaration des Droits de l’Homme aussi « c’est trop vieux ». Il y a des principes politiques et juridiques comme la laïcité, qui se révèlent adaptés à partir du moment où on les connaît, où on fait vivre la laïcité, toute la laïcité, rien que la laïcité et on pratique le respect mutuel.
Toucher à la loi de 1905 nous paraît dangereux car on ouvre la porte à n’importe quel type de polémique, c’est ouvrir la boîte de Pandore. Cela nous paraît en plus inutile car nous voyons tous les jours sur le terrain, qu’une laïcité bien comprise et bien appliquée permet de régler beaucoup de problèmes. Pas tous, il faut rester vigilants, mais beaucoup de problèmes.
S’il faut, ce qui est semble-t-il dans les intentions du gouvernement et du Président de la République, des moyens permettant d’assurer le contrôle, la transparence des financements, pourquoi pas ? Mais est-ce que cela suppose de modifier la loi de 1905 ? Nous n’en sommes pas du tout convaincus.
D.G. : On comprend bien à travers ces différentes démarches du gouvernement que c’est un danger s’il y a une modification substantielle du fond et du cœur de la loi ?
Jean-Louis Bianco : Évidemment.
D.G. : Bien évidemment en tant que Libre Pensée nous sommes d’accord. J’informe d’ailleurs les auditrices et auditeurs que nous avons fait plus de 90 rassemblements devant les préfectures et c’est le message que nous avons porté avec les associations traditionnelles et historiques de la laïcité (LDH, Ligue de l’Enseignement et l’Union Rationaliste).
Nous arrivons au terme de cette émission. Je vous remercie pour votre participation.
Je renvoie les auditeurs et auditrices au site de l’Observatoire de la laïcité pour y trouver son rapport, épais mais qu’il faut lire.
Je vous renvoie également à deux ouvrages que mes invités ont écrits :
– La France est-elle laïque ? de Jean Louis Bianco aux Editions de l’Atelier
– 50 notions clés sur la laïcité pour les Nuls de Nicolas Cadène aux Editions First.