Toulouse, samedi 28 septembre
Beau succès du colloque
Organisé par la Libre Pensée et le Conseil Départemental de la Haute-Garonne, ce colloque a été animé par Véronique L’Hôte, avocate au Barreau de Toulouse, et Florence Thiburs, secrétaire générale de la Libre Pensée de la Haute-Garonne.
C’est en présence de Mme Hélène Mouchard-Zay, fille cadette de Jean Zay, que près de 300 personnes ont écouté très attentivement les différents intervenants. Ouvert au Pavillon République par M. Georges Méric, le Président du Conseil départemental de la Haute-Garonne, et Pierre Gueguen, Président la fédération de la Libre Pensée 31, le colloque a permis d’entendre successivement les exposés suivants :
- Jean ZAY, l’homme-République (ou les deux corps de la République) par Olivier Loubes, historien de l’enseignement et de l’imaginaire politique de la société française, spécialiste des rapports entre l’école et la nation au XXe siècle. Olivier Loubes se consacre à la vie de Jean Zay depuis 1991. Il est professeur de chaire supérieure au lycée Saint-Sernin de Toulouse.
- Jean ZAY, le Franc-Maçon et le libre penseur par David Gozlan, Secrétaire général de la Fédération nationale de la Libre Pensée.
- Jean ZAY et l’éducation populaire par Jean-Michel Ducomte, avocat spécialiste en droit public. Ancien président de la Ligue de l’Enseignement (2003-2019) et, depuis 2008, président du CIDEM (Civisme et Démocratie), Jean-Michel Ducomte est aussi professeur à l’Institut d’Études Politiques de Toulouse.
Mme Hélène Mouchard-Zay a conclu le colloque en revenant sur les différents aspects de l’œuvre de Jean Zay traités dans les interventions, soulignant l’intérêt de bien des développements, notamment les liens de Jean Zay et de son père Léon Zay au sein de la Loge Etienne Dolet et de la Société de Libre Pensée Les Émules d’Étienne Dolet, à Orléans, ainsi que la filiation de Jean Zay avec Ferdinand Buisson et Jean Macé (1). Par des applaudissements nourris, l’assemblée lui a rendu un hommage appuyé.
Concernant la Libre Pensée, David Gozlan a fait un travail de recherche particulièrement intéressant pour les libres penseurs que nous sommes et qui explique vraisemblablement le silence assourdissant fait autour de Jean Zay durant les décennies qui ont suivi son assassinat en 1944 : « Jean Zay rejoint le groupe des Émules d’Etienne Dolet des libres penseurs, le 1er novembre 1931. Olivier Loubes dans sa biographie rappelle que son adhésion « ponctue cette évolution vers un athéisme ou du moins un agnosticisme résolu, entamée dès sa sortie de lycée, peut-être parce qu’il est désormais passé du côté du père, radical et franc-maçon, après avoir acquitté la dette d’affection maternelle jusqu’à la confirmation en 1922 ». Nous pourrions ajouter qu’il s’agit, au-delà de son père, de la construction d’un homme libre qui attaché aux enseignements familiaux a réalisé son propre parcours. Il peut être le fils de son père, mais aussi se défaire de cette construction de reproduction. C’est le propre du libre penseur, qui ne naît pas libre penseur par héritage, mais le devient par le travail. Jean Zay a largement fait état qu’il était au travail dans toutes les associations, partis et postes qu’il fréquentait.
Il est fidèle aux traditions humanistes de la Libre Pensée, à la méthode développée par la Libre Pensée.
Dans ses instructions en 1937/1938, comme ministre, il écrit : « Former le caractère par la discipline de l’esprit et le développement des vertus intellectuelles, apprendre à bien conduire sa raison en élève des héritiers français du message socratique : Montaigne et Descartes. Garder toujours en éveil l’esprit critique, apprendre à démêler le vrai du faux, à douter sainement, à observer, à comprendre autant qu’à connaître, à librement épanouir sa personnalité dans le souci de former des têtes bien faites plus que bien pleines, bref allumer un flambeau plutôt que remplir une coupe. Les professeurs doivent se garder attentivement de tout enseignement révélé, du dogmatisme, de la vérité acquise d’avance, des jugements tout faits coulés dans les jeunes cerveaux ». Et si on y perçoit quelques éléments de langage, on comprend que les vérités acquises ne peuvent l’être sans passer au crible de la Lumière de la connaissance, sans être le fruit du libre examen, du doute, de l’esprit critique. On ressent la plume du libre penseur, duFranc-Maçon, mais c’est le ministre dans sa dimension républicaine, qui fait de l’école la chose publique, qui grandit l’œuvre scolaire, qui s’appuie sur l’héritage humaniste. Jean Zay sait d’où il vient. Il sait comment il s’est construit, dans la transmission de ses aînés. Il le rend et cherche à reproduire cette transmission, en allant toujours un cran au-dessus, toujours vers plus de lumière. »
Dans son action ministérielle, Jean Zay a en effet pour fil à plomb les leçons des philosophes des Lumières : l’Homme est un être de culture, qui apprend à se connaître lui-même, qui se construit en suivant le chemin de la vie comme au sein de la Cité. Comme l’a rappelé avec humour Olivier Loubes, avant de lire ce que lui-même a écrit sur Jean Zay (2), il faut lire les écrits de Jean Zay, et notamment Souvenirs et solitude (Ed. Belin).
Jean Zay s’inscrit clairement dans la continuité d’Edgar Quinet et de Ferdinand Buisson, de Jean Macé, pour qui la pérennité de la République imposait de favoriser l’Instruction publique, laïque, gratuite et obligatoire, en implantant l’École publique dans chaque commune de France, en formant des instituteurs et institutrices, en instaurant les diplômes nationaux. Pour que chacun devienne, une fois la conscience et la pensée libérées de toute emprise obscurantiste et dogmatique, un citoyen doué de raison.
Oui, Jean Zay, jeune et grand ministre du Front Populaire, emprisonné par le Régime de Vichy et assassiné par la Milice de Darnand le 20 juin 1944, est un grand républicain, un authentique libre penseur. Jean Zay est l’un des nôtres. C’est ce qu’a démontré avec brio, si besoin était, le colloque tenu à Toulouse ce 28 septembre 2019.
Laissons le mot de la fin à un représentant du Conseil Départemental de la Haute-Garonne : « Merci à toutes et tous de la Libre Pensée pour avoir conçu et réalisé ce colloque intellectuellement et politiquement parfait pour garder vivant Jean Zay et son œuvre. »
À nous, libres penseuses et libres penseurs, de remercier avec une grande fraternité Mme Hélène Mouchard-Zay et le Conseil Départemental d’avoir permis de donner corps et vie à ce bel hommage.
1- J.-M. Ducomte : Jean Macé, militant de l’éducation populaire (ED. Privat – 2015)
2- O. Loubes : Jean Zay, l’inconnu de la République (Ed. Armand Colin – 2012)