Pour la défense de l’université républicaine !
Pour la défense inconditionnelle des Franchises universitaires !
L’état d’urgence contre la pandémie de la COVID19 n’a pas réduit les attaques du gouvernement contre l’Enseignement supérieur et la recherche. Bien au contraire, c’est dans un véritable état de siège que se sont trouvés l’Université, ses personnels et ses étudiants. Les périodes successives de confinement se sont traduites pour les jeunes par un régime d’isolement, de pauvreté et de famine, et pour les personnels par un régime éreintant d’enseignement à distance auquel rien ne les avait préparés. Le régime désormais nommé « distanciel » a fait largement la preuve de sa faillite complète, au point que la réouverture des universités avec de vrais cours et de vrais professeurs en chair et en os est devenue une revendication.
Encore faut-il faire la part d’une manœuvre de division du pouvoir : Les Grandes écoles ont pu continuer à délivrer leurs cours de manière classique, ainsi que les IUT et les BTS. Rien ne justifiait cette distinction, les amphithéâtres et les salles de cours étant de taille comparable dans les différents systèmes d’enseignement supérieur. Ce sont donc les universités, lieux des enseignements scientifiquement et culturellement les plus fondamentaux qui ont été condamnées.
La misère dans laquelle se débattent les universités françaises, déficit de professeurs, d’agents techniques et de crédits a servi de prétexte à l’interdiction des cours et à la limitation extrême des travaux pratiques. L’année a été perdue, gravement perdue, et cela s’est traduit par un abandon considérable des études pour les deux premières années de Licence. Cela s’est traduit aussi par une vague de suicides chez les étudiants comme on n’en avait jamais vu. Ce fut l’imposition du régime de la double peine : pauvres et sacrifiés. Tous les moyens qui auraient pu rendre la situation supportable : dédoublement des cours, embauches d’enseignants et aides financières aux composantes ont été refusés obstinément par la ministre Vidal.
La situation créée par la pandémie a permis au gouvernement d’imposer une loi sur la recherche, la LPR (Loi de Programmation de la Recherche) qui était rejetée unanimement par les chercheurs, enseignants-chercheurs, responsables de laboratoire et instances d’évaluation (le Comité National de la Recherche, CoNat, et le Conseil National des Universités (CNU). Cette loi grave dans le marbre le recul des crédits annuels permanents (dits récurrents) pour les laboratoires, et la suppression de fait de l’évaluation par les pairs à laquelle les universitaires et les chercheurs sont, à bon droit, viscéralement attachés. L’université et la recherche sont un champ de ruines.
C’est dans cette situation de misère extrême et de révolte sous-jacente que la ministre Frédérique Vidal a choisi de lancer une attaque à la fois polémique et calomniatrice contre l’université. Elle a osé annoncer la mise en place d’une commission d’enquête sur l’ « islamo-gauchisme », accusant l’université française en bloc d’être complice du terrorisme islamique en raison de corpus de recherche, selon elle douteux, dans ses rangs. Avec Jean-Michel Blanquer son inspirateur et complice, elle a nommément désigné les études dites postcolonialistes, et les études « de genre ». Elle a même osé annoncer que le CNRS s’en chargerait, ce que la direction de l’institut a décliné. Elle a porté l’accusation suivante : « Ce que l’on observe dans les universités c’est qu’il y a des gens qui peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont […] pour porter des idées radicales ou militantes ». Vidal répondait ainsi positivement à une diatribe d’extrême droite visant l’université et publiée dans le Journal du Dimanche.
Nous avons réagi dans nos communiqués : « les maccarthystes d’aujourd’hui » en précisant : « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Notons que la ministre n’a aucun droit, aucun pouvoir d’évaluation des recherches. Les laboratoires et les équipes de recherche, dans toute l’université sont évalués par l’HCÉRES (Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), institution certes contestable dans sa configuration actuelle, et qu’elle a contribué à dégrader en nommant autoritairement un président à la botte du gouvernement. Les évaluations ont-elles fait remonter des comportements douteux des équipes de recherche ? Ce n’est pas du tout un argument évoqué. La ministre se permet de se baser sur des « on dit ». Comment désigner l’abjection du procédé ?
Pour l’instant, la cible est étroite : ce sont nos collègues des Sciences humaines et Sociales qui sont dans l’axe de tir. Évidemment, ce secteur universitaire a toujours pris en compte les mouvements d’opinion, les questions sociales et l’ensemble des problèmes humains. Peut-on imaginer une philosophie sans conséquences pour la société ? Ce serait rayer de la carte Voltaire, Kant, Rousseau et bien d’autres. Peut-on imaginer une sociologie sans conclusions sociales ? On peut avoir librement des appréciations diverses sur leurs productions, mais l’université doit rester une terre de recherche libre.
A terme, tout le monde est visé. Combien faudra-t-il de temps pour que les chercheurs des disciplines dites « dures » soient interpellés quant à l’utilité sociale de leurs travaux ? Pour que la biologie darwinienne évolutive ne soit attaquée comme idéologique ? Un secteur attaqué dans sa liberté, c’est toute l’université qui est menacée. C’est d’ailleurs ce que fait la LPR, et la mise au pas du CoNat, du CNU et de l’HCÉRES. Ces aboiements – préparés par l’entourage du Président de la République, même s’il s’en défend – sonnent comme un bruit de bottes.
Nombreux sont les collègues qui ont signé la pétition pour la démission de Vidal. Elle est toujours en poste, elle n’a pas renoncé. Cela donne la mesure exacte de l’admonestation d’Emmanuel Macron à son égard.
Cette question de l’islamo-gauchisme à l’université c’est la volonté de constituer une véritable idéologie d’État au service des dominants. Au pas, l’université en ruine, au pas ! C’est l’annihilation de l’université comme endroit de libre recherche et de libre débat, pour en faire une école de domestication et de dressage. C’est la fin des Franchises universitaires, comme ilots de résistance et la subordination totale de la recherche scientifique aux besoins du Capital, y compris « idéologiques ».
La Libre Pensée est aux côtés de tous les chercheurs et enseignants chercheurs qui défendent la liberté de la recherche et de l’université. Nous avons été parmi les premiers à réagir et continuerons.
Avec le fantasme de l’islamo-gauchisme, ressort la question du « voile et des prières » dans les facultés. D’aucuns voulaient, une fois de plus légiférer, longtemps après le fiasco de Manuel Valls sur la question. Nous le rappelons une fois de plus, l’université est un lieu public ou l’habit est libre. Historiquement nous avons connu des curés en habit traditionnel, des religieuses en cornettes, des soldats en uniforme, et parfois des Indiens en turban ou des bouddhistes en robe jaune, sur les bancs des amphithéâtres de l’université. La question de la « laïcité » du public ne s’y pose pas. Seule celle des enseignants s’y pose et n’est pas transgressée à notre connaissance.
La question qui s’y pose est celle des Franchises universitaires et de la liberté qui doit régner sur les campus. Il n’y a que dans le cas des travaux pratiques, où une coiffure adaptée comme une charlotte de protection peut être exigée pour des raisons d’hygiène et de sécurité. Force est également de constater qu’étudiants et étudiantes, quelle que soient leur religion ou leur nationalité s’y plient. Faudrait-il encore réduire cette liberté ?
Mais si nous parlons de laïcité de l’Enseignement supérieur, osons regarder une cause réelle de sa mise à mal. En dépit d’une législation parfaitement claire remontant à 1880, nombre d’établissements catholiques se font appeler frauduleusement « universités catholiques » et obtiennent des habilitations officielles (Université catholique de Lyon à Annecy, Université catholique d’Angers, etc.). La Libre Pensée coordonnera une action nationale sur la base d’un état des lieux de ses Fédérations départementales contre les prétentions de l’Église catholique.
Comment ne pas voir, en effet, les deux mâchoires de l’étau clérical : d’un côté on cherche à détruire l’université républicaine en la calomniant, en lui attribuant tous les maux et en lui supprimant de plus en plus les moyens pour fonctionner, et de l’autre, on favorise le développement envahissant du Supérieur catholique ?
Ce sont des manœuvres de « Reconquista », elles ne doivent pas passer !
Adopté à l’unanimité par le congrès, le 27 août 2021