Interview de Jean-Guy Talamoni sur la campagne pour la réhabilitation des Fusillés pour l’exemple de la guerre de 14-18

La Libre Pensée : La Libre Pensée mène une campagne pour la réhabilitation collective des 639 Fusillés pour l’exemple de 1914-1918. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse (2015-2021)

Jean-Guy Talamoni : Je pense que c’est une excellente initiative. Pour sa part, la Corse a tenté, depuis des années, d’obtenir cette réhabilitation de la part de l’Etat français. La société corse s’est mobilisée, tant au niveau citoyen qu’à celui des institutions politiques. Il s’agit là de l’un des aspects les plus douloureux d’une guerre par ailleurs dévastatrice et largement inutile… Les autorités étatiques se refusent à admettre les erreurs et les fautes terribles qui furent commises à cette occasion. Cet acharnement à refuser la vérité est caractéristique de l’Etat, ce « monstre froid » qui « ment froidement », pour reprendre le mot de Nietzsche. Dans un registre différent, on en a eu un autre exemple le mois dernier, avec le rejet de la requête en révision dans l’affaire Omar Raddad. Ne pas reconnaître l’injustice que l’on a commise, c’est aussi un mode de gestion politique…

LP : Il est de notoriété maintenant de dire que des soldats corses ont été fusillés pour l’exemple, car ils ne comprenaient pas le Français. Est-ce vrai ? Y avait-il aussi d’autres raisons invoquées ?

JGT : Il y a, c’est vrai, la question de la langue, mais également celle de l’incompréhension liée aux traumatismes subis sur le champ de bataille, et parfois même celle de la déficience mentale – l’un des Corses fusillés était dans ce cas. Mais il s’agissait de faire des exemples. Peu importait la question de la culpabilité réelle des soldats poursuivis, dont certains avaient d’ailleurs eu un comportement héroïque durant les combats…

LP : L’Assemblée de Corse a pris position, à différentes reprises, pour la réhabilitation. Pouvez-vous nous donner le détail de ces actions ?

JGT : Le 29 juillet 2011, l’Assemblée de Corse avait délibéré à l’unanimité pour demander la réhabilitation de ces soldats. Aucune réponse n’avait été apportée à ce vote des représentants de la Corse. Le 24 octobre 2019, en ma qualité de Président de l’Assemblée de Corse, je déposais conjointement avec le Président du Conseil exécutif un projet de résolution qui fut adopté à l’unanimité. Ce texte tirait les enseignements du silence parisien : par cette délibération, l’Assemblée de Corse « déclarait solennellement la réhabilitation des Fusillés insulaires pour l’exemple ».

Pour l’heure, les autorités étatiques se refusent à aller en ce sens. Je dois ajouter que si les institutions corses ont joué leur rôle à cet égard, c’est toute la société qui s’est sentie concernée. Je pense notamment aux artistes, au documentaire de Jackie Poggioli « Fucilati in prima ligna », au court métrage de Jean-Marie Antonini « Aiò zitelli », à l’ouvrage de Frédéric Bertocchini… Il y a aussi les familles, notamment celle de Virgo Luigi qui a créé une association pour défendre sa mémoire. La mobilisation doit se poursuivre, en Corse et ailleurs, pour que cette injustice soit pleinement reconnue.

Interview réalisée par Jeam-Marc Schiappa