« Ils sont la honte du judaïsme » – Une tribune de Pierre Stambul, membre de l’Union Juive Française pour la Paix

Le 10 juin, Salah Hamouri, avocat franco-palestinien qui a passé de longues années dans les geôles israéliennes sera à Marseille, invité par le Collectif Palestine en Résistances. Il parlera notamment des prisonniers politiques palestiniens. Plus de 850 000 Palestiniens ont connu la prison depuis 1967. C’est comme si 10 millions de Français avaient été en prison pendant cette période.

Il n’en fallait pas plus pour qu’une officine qui ose parler au nom des Juifs et que le gouvernement français autorise à parler en notre nom, déverse son fiel et sa haine. Il s’agit bien sûr du CRIF.

Qui suis-je pour exprimer publiquement ma colère et mon dégoût ? Je m’appelle Pierre Stambul. Mes deux grand-mères ont été des survivantes du pogrom de Kichinev en 1903. Ma mère, Dvoira Vainberg, agente de liaison de la MOI pendant l’occupation nazie, a été la seule survivante d’une famille exterminée. Mon père, Yacov Stambul, membre du Groupe Manouchian dans le « triangle » Boczor-Glasz-Stambul, a été déporté à Buchenwald.

Cette mémoire, ce n’est pas seulement la mienne, c’est celle de l’ensemble de l’Humanité : plus jamais de suprémacisme, de racisme, de négation de l’autre ! Tous les peuples et tous les individus ont droit à la liberté, à l’égalité et à la justice.

Le communiqué du CRIF accuse Salah Hamouri d’être un terroriste. Parlons donc de terrorisme. S’il y a un État qui a été dirigé par d’authentiques terroristes, c’est bien Israël. Comment qualifier autrement Menahem Begin et Yitzhak Shamir, auteurs entre autres de l’attentat de l’hôtel King David (1946) et du massacre de Deïr Yassin (1948) ? Shamir a même été un collabo, puisqu’il assassinait des soldats britanniques en 1942-44, alors que le génocide perpétré par les Nazis était à son apogée.

Sur l’utilisation du terme « terroriste », le CRIF semble ne pas savoir que l’ANC de Nelson Mandela a été considérée comme « terroriste » jusqu’à la chute de l’Apartheid ou que le Groupe Manouchian a été désigné comme « l’armée du crime ». En 1967, le Général De Gaulle déclarait à propos de l’occupant israélien : « il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’à son tour il qualifie de terroriste ». Le peuple palestinien est occupé et réprimé depuis des décennies. Le droit international est formel : la Résistance dans ces cas-là n’est pas seulement un droit, c’est un devoir. Salah Hamouri est un grand Résistant.

Le CRIF reprend l’accusation contre Salah Hamouri qu’il aurait projeté d’assassiner un « grand rabbin ». Il feint d’ignorer que les Palestiniens dépendent de la « justice » militaire, que celle-ci n’a pas besoin de présenter des preuves pour condamner et que si un Palestinien ne plaide pas coupable, la peine encourue est doublée.

Mais il manque une information sur cet honorable « grand rabbin ». Il s’agit d‘Ovadia Yossef (1920-2013). Citons deux de ses déclarations : « les six millions de malheureux Juifs qu’ont tués les Nazis ne l’ont pas été gratuitement. Ils étaient la réincarnation des âmes qui ont pêché … ». C’est quand même une injure à nos morts, non ? Ou encore sur la catastrophe de New-Orleans : « Là-bas, ce sont des Nègres. Les Nègres ont-ils apporté la Torah ? Un ouragan s’est abattu sur eux et les a noyés parce qu’ils n’ont pas de Dieu ». Un Grand rabbin, vraiment ?

Le communiqué du CRIF parle de violences insoutenables qui auraient eu lieu à Toulouse contre lui. Il est fréquent qu’un agresseur se présente en victime. Le 9 juin 2015, j’ai subi une attaque du RAID après le piratage de ma ligne téléphonique par un délinquant de la Ligue de Défense Juive, condamné depuis par la justice et réfugié en Israël. J’ai subi garde à vue et violence (le gouvernement a été obligé de m’indemniser). Le soir j’animais une grande réunion à Toulouse et les mêmes qui ont agressé la réunion de Salah Hamouri avaient tenté sans succès d’agresser la mienne. Puis ils avaient affirmé qu’il y avait eu des « propos antisémites » à cette réunion qu’eux seuls ont entendus.

Le communiqué du CRIF parle de haine des Juifs, de « sécurité de nos compatriotes juifs ». La Palestine a toujours été la terre des trois grandes religions monothéistes qui ont su vivre ensemble sur cette terre. Les Palestiniens combattent le sionisme et pas les Juifs. Il n’y a jamais eu dans les très nombreuses réunions publiques ou manifestations de soutien au Peuple palestinien en France ou ailleurs le moindre appel à la haine des Juifs. Ce qui est dénoncé, c’est l’occupation, la colonisation, le blocus de Gaza, l’emprisonnement massif, les civils exécutés, l’Apartheid. Ne pas comprendre la réalité de ce qui est infligé au Peuple palestinien relève du déni, pour ne pas dire du négationnisme. Et ce qui met en danger les Juifs, c’est l’assignation : le CRIF veut les obliger à soutenir, quoi qu’il arrive, une politique criminelle. L’OAS avait utilisé la même stratégie vis-à-vis des Français d’Algérie.

Le CRIF en appelle à la préfète des Bouches-du-Rhône. Il n’a visiblement pas bien lu les nombreuses décisions judiciaires qui vont à l’encontre de sa tentative de bâillonner le mouvement de solidarité : l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme affirmant que l’appel au boycott d’Israël est légal, celui du Conseil d’État affirmant que la dissolution du Collectif Palestine Vaincra est illégale ou celui du Tribunal administratif de Nancy autorisant la réunion publique de Salah Hamouri.

Et bien sûr, dans ce communiqué, il y a l’instrumentalisation « classique » de l’antisémitisme. Invoquer la lutte contre le racisme pour défendre un régime suprémaciste qui a inscrit dans la loi « Israël État Nation du Peuple Juif » (2018) l’inégalité des hommes selon leur identité réelle ou supposée, c’est quand même culotté.

Sur l’accusation lancée contre le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), rappelons qu’un grand nombre de militants pour le BDS sont Juifs. C’est particulièrement remarquable aux États-Unis où 40% des jeunes Juifs considèrent qu’Israël est un État d’apartheid. Des « traîtres ayant la haine soi » ? Non, juste des Juifs fidèles à leurs valeurs.

Puisque le CRIF se dit soucieux de lutter contre l’antisémitisme, donnons-lui quelques conseils.

Pourquoi n’a-t-il pas porté plainte contre Benjamin Nétanyahou quand celui-ci a déclaré en 2015 : « Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs », suggérant que c’est le Grand Mufti de Jérusalem qui lui a soufflé l’idée ? Ce n’est pas du révisionnisme ?

Pourquoi n’a-t-il pas réagi quand Victor Orban a fait une campagne antisémite contre Georges Soros en Hongrie et qu’il a reçu le soutien de Nétanyahou ?

Pourquoi n’a-t-il jamais condamné les Chrétiens Sionistes dont l’antisémitisme est proclamé ? Ah oui, parce qu’ils ont financé la colonisation. Le pasteur John Hagee était présent lors de l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem. Il avait déclaré peu avant « qu’Hitler était le bras armé de Dieu ».

Comment le CRIF a-t-il pu accepter que Jair Bolsonaro, visitant le Mémorial Yad Vashem à Jérusalem, déclare sans être contredit : « les Nazis étaient de gauche, n’est-ce pas » ?

Le CRIF a été fondé par des résistants pour défendre les intérêts des Juifs. Il est devenu la courroie de transmission de l’extrême-droite israélienne. Il a été dirigé par un ancien du Bétar, la milice qui faisait des entraînements armés en Italie fasciste à la fin des années 1930.

Un de ses dirigeants, Gilles-William Goldnadel, engagé à l’extrême-droite, est l’avocat de Génération Identitaire et a déclaré : « des colonies de peuplement contre l’avis des autochtones, il y en a en Seine Saint-Denis. Un Juif est moins étranger en Judée ». Dans mon éducation juive, le racisme a toujours été un mal absolu.

Le sionisme est une idéologie qui a abouti à l’expulsion de la majorité des Palestiniens de leur pays en 1948. Le sionisme n’est pas le judaïsme et pendant très longtemps l’écrasante majorité des antisionistes étaient Juifs. Mélanger antisionisme et antisémitisme est un non-sens historique.

Je terminerai en m’adressant aux Juifs. 53% des Français vivant en Israël qui ont voté, ont choisi Zemmour au premier tour des Présidentielles. Zemmour qui expliquait que Pétain avait défendu les Juifs français.

Réagissez ! Votre histoire, votre mémoire, votre identité, ce n’est pas de suivre des gens dont l’idéologie ressemble à celle de ceux qui ont commis le génocide.

Le Judaïsme, qu’il soit laïque ou religieux, a produit des individus remarquables qui ont considéré que leur émancipation comme minorité opprimée, passait par celle de l’Humanité. Votre place est au côté des opprimés, pas au côté des suprémacistes.

Salah, tu es le bienvenu à Marseille.

Pierre Stambul

Pour en savoir plus

La Libre Pensée va bientôt publier un numéro d’Arguments « Judéïcité, Laïcité, Libre Pensée, » qui fait le tour de toutes ces questions, regroupées par certains sous le titre générique de « La Questions Juive ».

Sommaire de « Judéïcité, Laïcité et Libre Pensée » :

  • Préface de Carole Halbutier
  • Analyse de l’action antireligieuse et anticléricale dans la judéïcité par Christian Eyschen
  • Histoire générale du Bund par Christian Eyschen
  • Les Oubliés du Shtetl par Alain Chicouard
  • Babi Yar, un enjeu mémoriel par Alain Chicouard
  • Anarchistes juifs ou juifs anarchistes ? par Pierre Sommermeyer
  • Marc Bloch et le Judaïsme dans l’Etrange défaite par Christian Eyschen
  • Maurice Rajsfus, une conscience libre dans le siècle par Dominique Goussot
  • Les sources de la création de l’Etat d’Israël par Dominique Goussot
  • Un Etat sans constitution, mais pas sans religion par Dominique Goussot
  • A propos du Procès d’Adolf Eichmann par Christian Eyschen