Chers camarades, chers amis, citoyennes, citoyens,
Nous sommes réunis ici pour manger « gras » un jour de carême, ce vendredi que les Catholiques nomment « saint ». Il s’agissait pour les Libres Penseurs de braver un interdit alimentaire : consommer de la viande un jour où elle prescrit de se contenter de poisson. Evidemment l’origine de cette prescription est confuse, abstruse et historiquement complexe comme celle de tous les dogmes issus, en principe des livres « sacrés » : L’Ancien-Testament pour les Juifs, le Nouveau-Testament pour les Chrétiens, le Coran pour les Musulmans, les Védas (Rig-véda, Sama-véda, Yadjour-véda Atharva-véda) pour les Hindouistes, les Pitaka (suta pikata, vinaya pikata et Abhidhamma pikata) pour les Bouddhistes.
Livres écrits généralement à plusieurs mains en des temps reculés et qui reflètent moult affrontements de sectes religieuses largement oubliées aujourd’hui. Ces livres antiques et dépourvus de rationalité doivent, selon les adeptes de telle ou telle croyance, dicter nos comportements religieux, matrimoniaux, sexuels et alimentaires et ce, évidemment pour l’éternité.
Les interdits alimentaires pullulent dans ces textes, soit directement soit dans leur interprétation autorisée. Interdits permanents (le porc chez les Musulmans et Juifs, la vache chez les Hindouistes, le chien en Afrique) ou temporaires pendant les jeûnes rituels des Chrétiens et Musulmans.
Au prix ou sont les choses en ce moment, qui peut considérer comme une privation le fait de se limiter au poisson ? La surpêche et la raréfaction des stocks ont fait monter son prix et sa cote chez les grands chefs étoilés. Dans le passé, les seuls poissons disponibles étaient les poissons de rivière et les harengs salés mets moins goûtés par les riches que les viandes et gibiers.
Encore y-avait-il bien des aménagements du dogme : à la table des nobles et même à celle des moines, on pouvait servir du canard dont les pattes palmées étaient alors réputées nageoires, et du castor pour les mêmes raisons. Même Aristote, Pline ou les naturalistes du 16ème siècle comme Guillaume Rondelet ou Konrad Gessner n’auraient pas osé mettre cet oiseau et ce rongeur dans la catégorie des poissons, mais pour le dogme ils constituaient une dérogation. Il est de ces arrangements !
Pour la plus grande part de la population, il n’est pas plus difficile de faire maigre à Pâques que le reste de l’année tant les quinquennats d’Emmanuel Macron ont affamé le peuple, mais ce n’est pas de plein gré. Nécessité fait loi, hélas ! En tous cas il doit même se priver de poisson.
D’où vient cette prescription du vendredi-dit-saint ? Vendredi, parce que Jésus-dit-Christ aurait été crucifié la veille du shabbat (samedi) donc un vendredi. Le fait que les quatre Évangiles soient d’accord sur ce point n’en fait pas un fait historique. Les Évangiles s’échelonnent de l’an 50 (Matthieu) à l’an 100 (Jean), si on élimine les très nombreux évangiles apocryphes, pas moins significatifs que les autres, mais non homologués par le Concile de Nicée, sous la férule autoritaire de l’Empereur Constantin, ce qui allait marquer à tout jamais l’Alliance du Trône et de l’Autel. Aucun ne prescrit le carême.
L’anniversaire de sa mort est cependant mobile puisque Pâques est fixé, tenez-vous bien, « le premier dimanche après la première pleine lune qui suit le début du printemps, également connu sous le nom de l’Équinoxe de Printemps. » Pâques reliées à une lunaison. Cela sent son paganisme si ce n’est son néolithique. L’Église n’en est pas à une récupération près, en fait il s’agit juste d’une adaptation de la Pâque Juive. Le vendredi « saint » est le vendredi précédent ce qui fait que le Christ meurt chaque année à une date différente. Etant, depuis les Conciles de Nicée et de Chalcédoine de nature à la fois divine et humaine, rien ne lui est impossible.
Quant au jeûne de quarante jours, il a pour but d’expier nos péchés que le « Christ » a racheté par sa mort. Était-ce donc un rachat en viager ? N’est-il plus valable ? On s’embrouille. Le péché a survécu au « Christ », bien que nous fussions tous rachetés. L’Église n’en est pas à une absurdité près. S’il est mort pour racheter les péchés d’avant l’an zéro, mais pas ceux d’après était-ce vraiment une bonne opération ?
C’est le Concile de Nicée tenu en 345 de notre ère qui recommande le jeûne et, selon Joseph Turmel, c’est Athanase évêque d’Alexandrie et mort en 373 qui, dans ses lettres pastorales en recommande le détail. Ce particulier est connu sous nom chrétien de « Saint-Athanase d’Alexandrie », grand adversaire d’Arius et pourfendeur d’Ariens, car le Concile de Nicée était avant tout un congrès de règlement de comptes.
Dans cette période tumultueuse, Athanase, ne conduit pas un épiscopat tranquille. Accusé d’exactions financières, puis d’être commanditaire de l’assassinat de l’évêque d’Hypsélé, Arsène, Athanase est blanchi une première fois par l’Empereur Constantin 1er pour les problèmes financiers puis, parce qu’Arsène qui se cachait, est retrouvé vivant, (une vraie série télévisée) enfin exilé par l’Empereur Constance II qui avait le bon ou le mauvais goût d’être Arien.
Ces derniers n’avaient pas encore perdu la partie. On croirait un personnage éminent de la Vème République. Ses Lettres pastorales détaillent le jeûne, l’abstinence sexuelle, mais il n’est nulle mention de poisson ni de journée spéciale du vendredi. Ce sont seulement des coutumes qui se créent au moyen âge. Turmel ironise gentiment sur ses prescriptions dans son Histoire des Dogmes.
Le vin est aussi interdit, seules sont autorisée des boissons « non nourrissantes ». La bière était connue pour être nourrissante ainsi que les jus de fruits, il ne restait guère que l’eau et les tisanes. C’est plus dur que le poisson ! Et voilà qu’au XIVe siècle, une nouvelle complication apparait : le chocolat importé des Amériques. Est-il nourrissant ? La science diététique étant encore loin du moindre balbutiement, la chose se discute âprement entre les ecclésiastiques et les médecins.
La boisson a été finalement autorisée à la fin du XVIIe siècle. Ouf ! On peut faire carême avec un petit chocolat à quatre heures, un homard et un loup au fenouil le soir voire un canard à l’orange ou un civet de castor. La pénitence s’adoucit !
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Il y a d’autres anecdotes croustillantes sur les rituels ecclésiastiques : Durant des siècles les Juifs, peuple c’est bien connu parjure et déicide, étaient tenus d’assister à un sermon catholique le Vendredi-saint pour y entendre leur condamnation dans l’exorde de celui-ci : « oremus et pro perfidis judaeis », « prions aussi pour les Juifs parjures » pour bien leur rappeler leur ignominie. S’ils n’y allaient pas il pouvait leur en cuire et ce n’est pas une figure de rhétorique. Ce sermon n’a été supprimé que par Jean XXIII en 1959. Il faut reconnaître qu’après la Shoah, cela faisait un peu tache.
Mais le commandement de faire maigre à Pâques et le « Vendredi-saint » dure jusqu’au XXème siècle ou il est même renouvelé. Pie XII, entre deux absolutions de Nazis et quelques pieuses exfiltrations, pond une Encyclique intitulé Mediator dei sur la question, reconfirmé par Paul VI (Sacrosanctum Concilium) en 1963 lors de Vatican II puis par Ratzinger dit Benoit XVI, second pape démissionnaire et premier pape retraité de l’histoire. On ne peut contester à l’Église d’avoir de la suite dans les idées.
Heureusement de nos jours, en dehors de Catholiques très pratiquants dont le nombre décroit inexorablement, tous les gens raisonnables et sensés s’en moquent, c’est ce que nous faisons ce jour. Cela n’a pas toujours été le cas. Lors des banquets de 2022 ; Benoît Schneckenburger nous rappelait l’indignation de Voltaire devant la mise à mort d’un pauvre gentilhomme coupable d’avoir mangé du cheval un jour maigre. C’était en 1629 sous Louis XIII.
Sous le Second-Empire, le catholicisme était toujours religion officielle d’État, de par le Concordat de 1801 avec Pie VII. De la sorte, l’initiative de Sainte-Beuve, Renan, Flaubert et Taine de convoquer en 1868 à grand bruit un banquet « du Saint-Gras » ou « de la côtelette » avait valeur anticléricale et d’opposition à l’Empire et déclancha un scandale. Il n’a précédé que de deux ans la chute du Bonaparte-le-Petit et la Commune de Paris. C’est cette joyeuse tradition mécréante que nous perpétuons aujourd’hui.
Bien sur nous ne risquons plus rien, grâce à la loi de Séparation des Églises et de l’État. Mais nous continuons à dénoncer l’absurdité, l’incohérence et l’irrationalité de ces commandements, nés dans une lointaine antiquité et marqués par les luttes de pouvoirs de sectes et de fractions. Romains, Byzantins, Ariens, Marcionites et une foule d’autres les ont modelés au gré de leurs intérêts du moment, récupérant au passage les fêtes païennes et juives pour les christianiser.
C’est ce que nous a appris Joseph Turmel. On pourrait se contenter d’en rire si l’Église ne persistait à vouloir imposer ses interdits à tous les citoyens chrétiens ou non et à intriguer en ce sens. S’ils ont du baisser la garde sur les interdits alimentaires et le Carême, ils persistent à vouloir imposer leur morale préhistorique à tous les aspects de la vie, de la naissance à la mort.
Leur-sainte-Mère-l’Église ne fera plus tourner la roue de l’Histoire à l’envers. La Libre Pensée avec plein d‘autres associations et organisations avec elle, lui infligera nouvelle défaite : celle de la légalisation de l’Aide Active à Mourir, avec nos amis de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité et le Pacte Progressiste, nous appuyons cette revendication sans relâche.
C’est la même volonté acharnée qui nous a fait gagner des avancées importantes, qu’il nous faut consolider, pour obtenir la Réhabilitation définitive des 639 Fusillés pour l’Exemple de la Première Guerre mondiale.
Si leur messe est dite déjà depuis longtemps, notre combat pour l’Emancipation humaine, lui, continue pour achever ce combat de Liberté.
Ne sentez –vous pas ce vent de révolte qui souffle et mugit de plus en plus fort ?
Le 12 avril 2021 devant le Panthéon, la Fédération nationale de la Libre Pensée rendra aux 185 Libres Penseurs recensés pour cette occasion qui ont été Résistants pendant la Seconde guerre mondiale.
La Guerre toujours la guerre, de Gaza en Ukraine, la Libre Pensée exige « Crosses en l’air et rompons les rangs « et le Cessez-le-feu partout. Les armes doivent se taire pour que l’Humanité vive et survive.
Le 12 avril 2024, devant le Panthéon, la Libre Pensée proclamera avec force et vigueur : « De la Résistance à Soyez Rebelles ! La Révolte gronde et s’avance ».
Nous unirons tous les nôtres qui sont tombés en leur rendant hommage ainsi qu’à notre Président Marc Blondel à l’occasion du dixième anniversaire de sa disparition.
Vous avez à votre disposition deux ouvrages qui traitent de cela :
- La Libre Pensée dans la Résistance
- Marc Blondel, Syndicaliste, Libre Penseur, militant anticolonialiste, Franc-Maçon au Grand Orient de France
Nous allons faire force bombance ce soir, mais aussi en n’oubliant pas la nourriture intellectuelle.
Bon appétit !